Adapter la chaussure au pied : leçons de la régularisation de l’habitat informel en Europe du Sud

Marc Uhry – Mai 2016

Ce document est une extraction partielle et partiale d’une étude de UNECE (Agence de l’ONU pour l’Europe) : formalizing the informal, challenges and opportunities of informal settlements in South-East Europe (2015). Il nous a paru intéressant de faciliter l’accès à cette observation minutieuse d’un effort d’adaptation au réel par la puissance publique, dans plusieurs pays aux caractéristiques différentes. Loin de renoncer à son rôle régulateur, l’Etat a au contraire pu le retrouver en composant. Parfois, la minutie des procédures en a altéré les bénéfices. Ailleurs, la simplicité et la force d’un outil d’animation des politiques publiques ont aidé à une plus grande efficacité. Dans tous les cas, la découverte du contexte local invite à éviter de considérer les situations différentes à l’aune de nos propres expériences et grilles d’analyse, tout en offrant un miroir intéressant des possibilités que nous pourrions sous-estimer dans nos propres contextes.

Je n’ai notamment pas repris ici tous les pays étudiés, ni toutes les recommandations établies par UNECE. L’observation m’a paru assez stimulante pour nourrir utilement ce débat.

Mes excuses à UNECE pour avoir tronqué et traduit ce document que j’espère ainsi rendre plus accessible aux francophones et j’invite vivement les lecteurs anglophones à se plonger dans l’étude elle-même, technique, mais très riche.

 

L’habitat informel est une notion évocatrice, qui fait danser dans nos esprits les images colorées de favelas brésiliens, de bidonvilles du golfe de Guinée, de baraquements portuaires dans les mégalopoles asiatiques, et plus sporadiquement, d’installations tremblantes le long des périphériques de métropoles occidentales, tamponnées du stigmate Rom. Pourtant, dans le périmètre couvert par UNECE à savoir l’Europe, l’Amérique du nord et les Etats issus de l’ancienne Union Soviétique, ce sont 863 millions de personnes[1] qui vivent dans un habitat informel : constructions sans permis non reconnues, occupations illicites de terrains ou de bâtiment publics, etc.

C’est une réalité massive, qui traverse tous les pays.

Pour des raisons historiques différentes, la Grèce et les pays balkaniques ont été particulièrement confrontés à ce phénomène et ont mené ces dernières années des politiques visant à la fois à intégrer l’existant dans la réalité juridique, tout en essayant de prévenir le développement de nouvelles constructions hors-cadre. Des fortunes et infortunes de ces politiques, il est intéressant de tirer quelques enseignements.

 

 

 

En Grèce

La Grèce connait un droit des sols très contraignant par rapport à d’autres pays : la terre est demeurée largement publique, et au-delà de la stricte possession, c’est une culture juridique qui s’est déployée jusqu’en 2004, faisant passer l’intérêt public avant les enjeux particuliers, en matière de foncier. Les dispositifs d’encouragement à l’accession, de sécurisation, etc. qui peuvent exister ailleurs n’existent que marginalement en Grèce. Culturellement, la collectivité et le cadre de droit sont faiblement protecteurs pour la propriété individuelle, ce qui n’encourage pas les particuliers à y recourir.

Par ailleurs, dans les documents d’urbanisme, la protection de l’environnement et de l’héritage archéologique sont très importants, ainsi que la prévention des risques sismiques.

Face à un accès administrativement et juridiquement limité aux sols, les constructions hors du cadre de droit prévu se sont multipliées. Les politiques d’aide aux plus vulnérables ayant été historiquement importantes en Grèce, les installations de fortune sont très résiduelles et l’habitat informel concerne des demeures robustes et salubres, principalement bâties sur des terrains dont l’occupant est juridiquement propriétaire.

Plus de la moitié du territoire Grec et propriété de l’Etat ; toute « zone de forêt » est réputée propriété de l’Etat à moins de prouver une propriété originelle datant de 1884, à travers un acte authentique, et une chaine de documents juridiques attestant de la continuité légale de la propriété privée du sol. Il n’existe pas de carte précisant ces zones de forêt, ce qui a conduit à des conflits permanents entre investisseurs privés et autorités publiques de régulation des zones forestières. Les habitations construites dans des zones forestières sont considérées comme informelles.

Pour autant, si un habitant occupe un bien pendant 10 ans en se croyant sincèrement propriétaire, il peut revendiquer la propriété, de même que s’il occupe un bien ou un terrain 20 ans, sans objection du propriétaire de la parcelle concernée.

Toute parcelle rurale non cultivée est susceptible d’être considérée comme une zone de forêt et l’Etat peut en revendiquer la propriété.

La Grèce connait peu de bidonvilles ou de squats : l’habitat informel résulte des violations des règles de zonage, des extensions de maisons sans permis, etc.

Approximativement 1/5 des habitations sont construites sans permis, soit 1 million d’unités, dont la valeur marchande est estimée à 72 milliards d’euros[2]. 1,5 millions d’autres habitations disposent d’extensions, de terrasse, de rehaussement, qui n’ont pas été autorisés.

Malgré ces irrégularités, les autorités locales ont à peu près assuré la fourniture de services locaux : entretien des routes, ramassage des ordures ménagères, approvisionnement en eau potable, et en 2003, l’Etat a engagé une politique visant à assurer l’électricité et les réseaux de télécommunication pour tous.

 

Le système de planification urbaine en Grèce est « centralisé, coûteux, bureaucratique[3] », ce qui se conjugue avec un cadre réglementaire très complet et très complexe. Les études préalables à l’établissement des documents d’urbanisme durent en moyenne 15 ans et coûtent 6 000 euros par hectare. Bien que les constructions soient autorisées sur les zones non couvertes par un document d’urbanisme,  la délivrance d’un permis de construire implique l’avis de 25 agences, dont les autorités archéologiques ou forestières et requièrent souvent une décision de justice.

La majorité des « logements réguliers » se trouve dans des zones couvertes par un Programme Urbain (l’équivalent du PLU français). Ce sont les seuls logements pour lesquels un prêt immobilier est susceptible d’être contracté, mais ils sont nettement plus onéreux.

Cet ensemble de contraintes fait qu’un sondage réalisé en 2009 révélait que 40% des Grecs considéraient difficile de faire face au remboursement d’emprunt immobilier et que un sur deux considérait le développement d’un habitat informel comme l’unique moyen de satisfaire ses besoins d’habitat.

Pour autant, les quartiers d’habitat informel doivent se débattre pour le ramassage des ordures ménagères et dépendent de l’initiative privée pour l’école, les transports, l’accès aux soins. Avant la crise financière, la majorité des habitants de ces quartiers souhaitaient intégrer un plan urbain, pour pouvoir construire ou améliorer leur bien légalement

En 1983, la Grèce a mis en place un « projet de régénération urbaine », adossé à un nouveau cadre juridique, qui visait à intégrer l’habitat informel. Ce dispositif visait à reconnaître les biens bâtis sur des parcelles dont les occupants étaient dûment propriétaires. Une enquête cadastrale a permis de déterminer les tailles de parcelles concernées et de reconnaître les logements tels qu’ils étaient, un par un, après visite sur site. Ces quartiers ont été intégrés aux documents d’urbanisme et de planification urbaine. Les citoyens ont été associés et disposaient de possibilités d’émettre des objections. 80% des coûts de ce processus d’ensemble ont été assurés par des fonds d’Etat.

Pour autant, les Plans urbains prévoyaient de légaliser des quartiers sur 60 000 hectares, mais la légalisation d’habitat informel n’a finalement portée que sur 25 000 hectares. Les propriétaires qui demeurent en dehors du processus ne peuvent ni vendre, ni louer, ni hériter, ni améliorer leur habitat, ni bénéficier des aides publiques.

Tombé en désuétude, le Programme de Régénération Urbaine a été réactivé par une nouvelle Loi de 2009, mais beaucoup plus restrictive : elle ne concerne que les zones faisant déjà partie d’un Plan urbain, et pour des travaux qui ne font pas déroger le bâtiment aux règles d’urbanisme (notamment la hauteur, fortement limité en Grèce en raison des risques sismiques importants).

 

Depuis 1995, un effort de définition des zones de forêt est déployé parallèlement au développement du cadastre, qui concerne 48% des parcelles privées rurales.

Devant ses succès limités et dans le contexte de crise économique d’une intensité exceptionnelle, une Loi de régularisation a été adoptée en 2011. Jusqu’alors, une régularisation de l’habitat informel n’était possible que dans le cadre d’un Plan Urbain. Désormais, toute transaction est devenue possible, pour peu qu’elle soit assortie d’une attestation établie par un ingénieur compétent, après visite sur site, sur l’habitabilité et la sécurité du bâtiment, attestation nécessaire pour chaque transaction. Cela a engendré un peu de surcoût, mais aussi une certaine lourdeur bureaucratique, qui s’oppose à la volonté affichée de réduire les temps et les coûts de transaction.

La Loi 4014/2011 a aussi introduit la possibilité de régularisation temporaire des constructions informelles, pour une durée de 30 ans. Cette possibilité était ouverte aux bâtiments construits dans des zones prévues par les documents d’urbanisme, mais non conformes en volume, ainsi qu’aux constructions sur des parcelles non-constructibles, mais dont l’habitat jouit de la propriété du terrain nu (hors zone protégée). Durant cette période, l’autorité publique est sensée développer suffisamment ses stratégies de régénérescence urbaine et de développement urbain, pour que les constructions concernées puissent progressivement s’y inscrire. La formalisation protège les habitants des poursuites sur la période, leur permet l’accès aux fluides et aux services urbains, la vente est autorisée.

Il existe environ 1,5 millions de logements contrevenant aux règles d’urbanisme dans les zones constructibles et 1 million dans les zones non constructibles, mais au moment de l’étude, seuls 655 000 étaient entrés dans une procédure de régularisation. Pour stimuler les déclarations des propriétaires, le gouvernement grec a essayé d’imposer une durée courte de possibilité de régularisation. La Loi de 2011 a été adoptée en septembre et les propriétaires n’avaient que jusqu’à fin novembre pour faire une déclaration. Devant le trop faible nombre de situations restant à régulariser, le gouvernement a été amené à repousser plusieurs fois le délai, comptant élargir l’assiette des volontaires pour intégrer la procédure de régularisation.

Mais d’une part, les frais de régularisation se sont avérés dissuasifs pour une large partie des ménages concernés, relativement impécunieux dans le contexte de crise économique dramatique que connaissait la Grèce, avec une chute importante des revenus croisée avec une hausse du coût de la vie, des impôts, etc; d’autre part, de nombreuses situations demeurent en dehors du cadre des régularisations, par exemple celles de nombreuses communautés Rom, qui ne sont pas propriétaires des terres sur lesquels elles ont construit leurs résidences.

En 2013, le Conseil d’Etat a jugé que la Loi 4014/2011 était non-conforme à la Constitution, en raison de sa trop faible protection de l’environnement (en Attique, il faut disposer d’une parcelle de 2ha minimum, pour pouvoir construire et la régularisation de bâtiments construits sur des parcelles plus petites a été considérée comme un dommage environnemental trop important). Plus aucune régularisation ne pouvait avoir lieu au motif de cette loi. Pour contourner la décision du Conseil d’Etat, une nouvelle Loi a été adoptée en 2013, qui insiste sur la dimension environnementale, on permettant de déduire 50% des pénalités liées à l’habitat informel, pour des travaux visant à l’efficacité énergétique. Mais les frais de régularisation demeurent trop élevés pour les familles modestes, pour lesquelles ils représentent 30% à 40% du revenu annuel.

 

Les leçons tirées par UNECE, potentiellement utiles aux autres pays :

  • Les coûts et amendes liées à la régularisation doivent rester abordables, aussi bien en termes monétaires que de délais.
  • La planification urbaine et le zonage méritent d’être entrepris de manière coordonnée, à partir d’une information cadastrale actualisée, pour permettre la régularisation et décourager de possibles installations informelles ultérieures.
  • La population doit pouvoir croire à la viabilité de long-terme d’un projet de régularisation, pour pouvoir y participer.
  • Les lois de régularisation devraient être établies et mises en œuvre d’une manière qui vise à respecter l’environnement, encourager la sécurité du statut d’occupation et promouvoir la croissance économique.
  • Les lois régissant la propriété doivent être claires, et le gouvernement devrait éviter, dans la plupart des cas, invoquer son droit de propriété sur des terres qui ont de fait été le support d’activités du secteur privé pendant une longue durée.
  • Les procédures de régularisation trop strictes et onéreuses peuvent sévèrement limiter la capacité du marché immobilier à fonctionner.
  • Des programmes importants de logement abordables conduisent à moins de bidonvilles et à la régénérescence du parc de logements sociaux.

 

En Albanie

Dans les années 1990, les deux-tiers de la population albanaise vivait dans des zones urbaines, dans un contexte de bouleversements politiques majeurs, qui ont entraîné de fortes migrations internes et le démantèlement des coopératives agricoles. Le manque cruel d’emplois a conduit les citoyens à quitter les zones rurales pour se rapprocher des villes, ce qui a exacerbé les tensions sur le logement, pour les nouveaux arrivants, mais aussi pour les résidents déjà en place, confrontés à la très médiocre qualité des bâtiments existants.

De nombreux ménages ont alors investi des propriétés de l’Etat alors déliquescent, ou des terres en friche pour y construire des logements sans autorisation, parfois même allant jusqu’à vendre ces biens sur lesquels ils ne détenaient pas de titre de propriété.

En 2006, l’Albanie comptait 400 000 constructions illicites, occupant 40 000ha, et correspondant à un investissement de 6 à 8 milliards de dollars (l’Albanie compte 3 millions d’habitats est le PIB est de 31 milliards de dollars).

 

Dans les villes-centres, des extensions, voire des nouveaux bâtiments ont également fleuri, pour répondre aux besoins sociaux, dans un contexte de désorganisation institutionnelle où aucune planification urbaine nouvelle n’était établie.

 

Environ 60% des constructions illicites ont été financées par des travailleurs expatriés, qui pour beaucoup travaillaient dans le bâtiment, en Grèce ou en Italie, et qui ont largement participé eux-mêmes à la construction de leur maison pour en limiter le coût, ce qui a conduit à un stock de logements illicites tendanciellement de bonne qualité. Pour autant, la plupart des constructions informelles demeurent privées des services de base, comme la collecte des ordures ménagères, les réseaux de transport public, l’éducation et les services de santé. En 2006, 52% des maisons rurales n’étaient pas raccordées à l’eau courante, 70% de la population totale souffrait de longues coupures quotidiennes d’énergie, et 50% de la population totale n’avait accès à l’eau courante que 6 heures par jour.

 

En 1991, un registre de la propriété immobilière a été créé et la quasi-totalité des terres a été privatisée, pour partie restituées aux descendants des propriétaires d’avant 1946 et pour partie confiées à ceux qui avaient un droit d’usage. Le processus n’est toujours pas finalisé, notamment pour les situations sensibles (zones protégées, etc.), au point qu’il n’est pas aujourd’hui toujours possible de savoir qui occupe une parcelle et qui la possède.

Ce processus est compliqué par le fait que huit administrations différentes et pas toujours coordonnées sont amenées à reconnaître des titres de propriétés.

Il existe trois types principaux d’habitations informelles en Albanie :

  • L’occupant est propriétaire du terrain, mais son logement n’a pas obtenu de permis de construire et/ou n’est pas conforme aux prescriptions des règles d’urbanisme,
  • L’occupation sans droit ni titre d’un terrain appartenant à l’Etat
  • L’occupation sans droit ni titre d’un terrain appartenant à un propriétaire privé (souvent issu des procédures de restitutions engagées en 1991)

La situation de certains terrains ayant été peu claires pendant une période, plusieurs parties ont pu être amenées à en revendiquer la propriété, ce qui a suscité un nombre croissant de contentieux judiciaires. Certains ménages pensaient pouvoir invoquer leur droit d’usage pour bénéficier de la propriété d’une parcelle où ils vivaient mais se sont retrouvés « squatters » après qu’un ayant-droit à la procédure de restitution ait été identifié. La tension a été exacerbée par le manque d’alternative accessible aux ménages modestes. Ce n’est qu’en 2007 qu’un programme de logements locatifs a été engagé par certaines communes et à partir de 2008, qu’un programme gouvernemental d’amélioration des conditions de vie dans les quartiers Roms a été initié.

A ce stade ils sont très insuffisants pour résoudre les tensions autour de l’habitat informel qui se renouvellent dans la mesure où les droits de propriété distribués par le gouvernement sont ignorés, à mesure que les bénéficiaires quittent leur région pour une grande ville ou l’étranger, à la recherche d’une vie meilleure : les terres sont alors utilisées par ceux qui restent.

Ce caractère très mouvant de la réalité du phénomène fait qu’il n’y pas de données arrêtées.

 

En 2006, une loi de régularisation des constructions informelles a été adoptée. Elle établit une « Agence pour la Régularisation, l’Urbanisation et l’Intégration des Constructions et Quartiers Informels » (ARUICQI[4]). Son rôle est d’élucider les droits de propriété et d’établir des procédures visant à la reconnaissance des occupants d’un bâtiment informel comme propriétaire légal de la parcelle construite. La mise en œuvre de cette loi est de la responsabilité de l’ARUICQI, qui a coopéré avec l’OSCE, la Banque Mondiale et certaines universités des Etats-Unis dans ce travail.

Selon l’expression même du gouvernement albanais, durant plusieurs années après la privatisation, le recours à l’habitat informel était l’unique possibilité pour un Albanais moyen d’améliorer ses conditions de logement ou de déménager. Dans une situation politique inconfortable, le gouvernement a décidé de régulariser rapidement la plupart des installations informelles, pour répondre au mécontentement populaire et stimuler la croissance économique. La régularisation visait à « activer » les milliards de dollars de capital dormant, qui étaient piégés dans le marché informel, sans pouvoir rejoindre l’économie régulière.

Dans le même temps, le gouvernement a également esquissé une Loi d’urbanisme qui proposait une nouvelle approche de la planification. Jusqu’alors, construire via les procédures régulières était très longs et les résultats de la demande de permis assez aléatoires. La nouvelle approche s’est émancipée des prescriptions fixes, sur les tailles de parcelle, le type de toiture, etc, mais elle a créé un droit a priori à construire pour toute parcelle qui ne présenterait pas de contre-indication particulière rendant inopportune la présence d’une construction, de manière à répondre aux besoins urgents de logement pour les 20 à 30 prochaines années.

Le gouvernement a adopté une procédure de régularisation simplifiée pour les bâtiments informels. Il a défini un « Plan d’Ajustement Général » qui définissait les grands périmètres de construction autorisée. A l’intérieur de ces périmètres (qui incluent largement les quartiers informels péri-urbains), les systèmes d’infrastructures urbaines ont vocation à être étendus pour permettre la construction de logements, commerces, services et industries, au cours des 15 années à venir. Au total, 127 nouvelles zones de planification urbaine ont été identifiées, qui recouvraient 300 000 bâtiments (dans un pays 3 millions d’habitants…).

La Loi a donné six mois aux Albanais pour déclarer leur habitat informel. Environ 280 000 déclarations ont été déposées (sur les 400 000 attendues), parmi lesquelles 80 000 bâtiments comprenant plusieurs logements, voire des commerces. A travers une simple déclaration et sous la supervision d’une agence publique, la propriété de terrains et des constructions attenantes, quelqu’en soit l’usage pouvait être légalement obtenue. Approximativement 80 000 à 100 000 nouvelles constructions illicites ont été initiées après 2006, mais plus des quartiers, essentiellement des petites extensions et quelques logements isolés. En mai 2013, an amendement à la Loi de 2006 a élargi la cible initiale pour l’étendre à toutes les constructions et extensions informelles réalisées après 2006.

Afin de clarifier la relation entre propriété des soles et propriété des murs, la loi a disposé que lorsqu’un bien est construit sur une parcelle privée, qui a un propriétaire différent de celui du bien, il s’en suit que :

  • La propriété des parcelles foncières est transférée à l’Etat, à travers une procédure d’expropriation.
  • L’ARUICQI, représentant l’Etat, prépare un contrat pour transférer la propriété de cette parcelle, de l’Etat vers le constructeur de l’installation informelle. Un notaire publique garantit l’authenticité du contrat.
  • Le propriétaire de l’installation informelle doit acheter la parcelle foncière.
  • Immédiatement, l’ARUICQI prépare l’acte de régularisation et le transfère au Registre de la Propriété Immobilière (RPI) pour enregistrement.
  • Le RPI enregistre l’acte de régularisation lorsque le propriétaire paie les frais d’enregistrement.

 

Si la construction informelle se situe sur un terrain appartenant à l’Etat, la même procédure est engagée, sans la première étape.

Si la construction est sise sur un terrain qui appartient à au constructeur, mais qu’elle est en contravention avec les règles d’urbanisme, même procédure, moins la première et la troisième étape. Un prix fixe est établit pour les parcelles jusqu’à 300m2 ; au-delà, ce sont les prix de marché et la liberté contractuelle qui prévalent. Les prix fixés étaient de 1 463€ pour une parcelle inférieure à 100m2 à l’intérieur du périmètre défini par la Loi d’urbanisme. 2 195€ pour une parcelle inférieure à 200m2. 2 926€ pour une parcelle allant jusqu’à 300m2. Un citoyen qui souhaiterait voir régularisé plusieurs bâtiments ne peut en choisir qu’un à ces conditions tarifaires spéciales.

L’Etat se désengage alors de toute responsabilité en ce qui concerne la qualité et la sécurité du bâti.

Les propriétaires fonciers expropriés sont indemnisés, mais l’incertitude issue de la période de transition rend parfois complexe l’identification de l’ayant-droit légitime. Ceux qui sont indemnisés reçoivent 80% du prix de revente de la parcelle à l’acheteur, 20% du prix étant orienté vers les collectivités locales afin d’alimenter l’investissement dans les futures infrastructures nécessaires.

La planification détaillée a été reportée en raison des moyens trop importants nécessaires à sa réalisation, mais la fourniture d’eau et d’électricité a progressé rapidement, et l’ARUICQI travaille à l’établissement de normes de salubrité, qui doivent conduire à une amélioration progressive du parc existant.

De nouvelles disposition réglementaires élargissent régulièrement le champ des régularisations possible, par exemple en réduisant la distance d’un axe routier à partir duquel il est possible de régulariser, ce qui a fait entrer 30 000 nouvelles constructions informelles dans le périmètre d’application de la loi, etc.

La facilité de régularisation et le cadre réglementaire simple, stable et sécurisé, ont encourager les nombreux Albanais qui travaillent hors du pays à revenir y investir leur épargne, contribuant à restaurer l’économie du pays.

Entre 2006 et 2013, l’ARUICQI a enregistré :

270 592 déclarations concernant des installations informelles, correspondant à 233 348 biens.

90 593 parcelles privées occupées sans droit ni titre.

4 818 propriétaires fonciers ont été dédommagés pour le transfert de propriété.

52 555 actes de régularisation ont été établis et 13 885 transmis au Registre de la Propriété Immobilière Le montant des transferts de propriété s’est élevé à 58,9M€ (pour une valeur estimée à 70,1M€), dont 39,1 millions ont été reversés aux propriétaires fonciers.

 

L’ARUICQI a réussi à aider les propriétaires à établir leurs déclarations (y compris en faisant du porte à porte), à classer toutes les propriétés selon leur éligibilité à la régularisation, à suivre à peu près tous les biens recensés, à établir une base de données des constructions informelles et des propriétaires actuels. Pour autant les données témoignent de décalages importants selon les étapes de la procédure, qui tiennent au fait que de nombreuses situations sont encore en cours. C’est le signe de freins et de difficultés : plusieurs agences de privatisation ont commencé à distribuer des titres de propriété avant que le RPI ne soit établi, il est compliqué de partir à leur recherche. Plusieurs titres ne sont pas enregistrés sur ce registre, considérés comme problématiques, ce qui créé une perte d’information et creuse l’incertitude sur le statut légale des biens en question. Les documents ne sont parfois pas transmis par les citoyens au RPI, parce qu’ils sous-estiment l’importance de cet enregistrement au regard de la sécurité de leur occupation. Le manque de cartographie précise et un certain flou dans le périmètre des compétences administratives ont pu induire quelques des difficultés cadastrales.

 

Leçons tirées par UNECE, potentiellement utiles aux autres pays :

  • Une hiérarchie claire des institutions publiques, des compétences et responsabilités bien définies et identifiables, sont nécessaires a traitement d’un enjeu aussi complexe que l’habitat informel.
  • Des mécanismes sont nécessaires pour régulariser tous types de bien dont les occupants sont depuis longtemps utilisateurs.
  • Les dispositifs de régularisation ne doivent pas uniquement prévoir la régularisation des biens existants, mais également prévoir les structures qui faciliteront leur incorporation dans le secteur formel.
  • Le secteur privé peut jouer un rôle dans le monitoring et le contrôle de qualité des régularisations, mais il doit être encadré réglementairement et son rôle clairement défini.
  • La planification et le zonage doivent être abordés de manière coordonnée, sur la base des informations cadastrales, pour permettre la régularisation et décourager de futures installations informelles.
  • Tous les acteurs concernés doivent recevoir une formation appropriée à leur rôle.
  • La population doit être informée des avantages de la régularisation et des procédures pour y accéder.
  • Le manque de logements sociaux contribue à exacerber le phénomène des constructions informelles.

 

En Macédoine

La Macédoine est un pays de 2 millions d’habitants, indépendant de la Yougoslavie depuis 1991.

En 1962, une terrible inondation a sapé les fondations de la plupart des immeubles de Skopje, sa capitale. Un an plus tard, un séisme a ravagé la ville, laissant 80 000 sans-abri et 70 000 personnes vivre dans des immeubles sévèrement endommagés. Les estimations de l’époque indiquent qu’à peine un logement sur quarante est demeuré propre à l’occupation. Les habitants d’environ 13 000 maisonnettes insalubres se sont vu proposé un nouveau logement, les autres étant réduits à vivre dans des formules plus ou moins proches du bidonville. La population Rom n’a largement pas accepté les relogements en étages élevés et s’est installée de manière informelle dans le quartier de Shuto Orizari, à la lisière de la ville.

Dans un régime socialiste de fort contrôle public sur les sols, le traitement public a fait peu de cas de la valeur des biens, des différents régimes de propriété des logements détruits, des convenances personnelles, etc. Le résultat en a été une réticence par les habitants à intégrer les nouveaux immeubles standardisés produits par l’administration, au profit d’un régime de débrouille, construisant ou réparant progressivement des maisons de manière informelle. Le grand chantier qu’était devenu Skopje a aussi attiré des nouveaux arrivants, en quête de travail, dont une partie a également fait le choix de se débrouiller dans le secteur informel.

Durant cette période de reconstruction, une grande réforme rurale a été entreprise, qui visait à accroitre la production agricole. Mais l’inefficacité des politiques rurales et de logement ont conduit de nombreuses familles rurales dans la grande périphérie des dix plus grandes villes à produire leur propre nourriture sur les terres en friche sur lesquelles un droit d’usage leur a été conféré ; elles ont progressivement aussi construit des maisons sur ces parcelles pour leur propre usage. Ces maisons sont considérées comme illicites car construites sur des zones agricoles non ouvertes à la construction. En 1981, 160 000 citoyens vivaient dans des maisons auto-construites.

A la fin des années 1990, la stabilité sociale du pays a été affectée par l’accueil de 300 000 réfugiés (15% de la population, l’équivalent de 10 millions de réfugiés qui arriveraient en France…). Avec l’exode rural stimulé par la période de trouble qui a suivi l’indépendance, la population se fortement urbanisée et 66% de la population vivait dans des zones urbaines en 2009. Cela a conduit à un développement rapide de l’habitat informel à Skopje et dans les villes principales, particulièrement sur les terrains appartenant à l’Etat et non prévus pour la construction.

Le nombre d’administrations et la complexité d’organisation des collectivités locales a complexifié l’organisation des réponses au développement de l’habitat informel. La porosité des responsabilités entre le Maire de Skopje et les Maires « d’arrondissement » des dix districts qui composent la ville a engendré une certaine confusion dans la délivrance des permis et la supervision de la construction.

Le secteur formel lui-même est confronté à des difficultés sérieuses : l’âge moyen des bâtiments est de 30 et en raison du manque d’entretien, la plupart ont besoin d’être réhabilité. Les copropriétés ont vu pousser des extensions illicites, conséquence d’un manque de connaissance des contraintes d’urbanisme et du manque d’alternatives pour répondre au besoin d’espace. Ces développements ont fragilisé le statut légal de ces copropriétés, la sécurité et la valeur des immeubles, et l’intégrité d’un marché immobilier où ce qui est acheté en pierre ne correspond pas toujours à ce qui est écrit sur l’acte.

Jusqu’en 2004, dans les petits quartiers périphériques, il était d’usage de commencer par construire de manière informelle, puis à mesure que le quartier se développait, les autorités locales établissaient un plan urbain pour ce quartier. En 2004, une Loi de planification spatiale et urbaine a été adoptée, qui dispose que lorsqu’un plan de développement urbain est établi, ceux qui ont participé à la transformation de leur droit d’usage d’un sol en droit de propriété, peuvent régulariser leur construction informelle en acquérant un  permis de construire. Les installations sur un terrain originellement non ouvert à la construction, peuvent être régularisés, à la demande des citoyens et avec l’accord du Ministère de l’Agriculture et du Conseil Municipal (pour les coûts de connexions aux réseaux de fluides : lorsque les habitants sont prêts à payer la majeure partie de ce raccordement, le Plan de Développement urbain est susceptible d’être modifié en fonction). Les revenus des taxes sur la propriété sont de droit fléchées vers les collectivités locales, ce qui stimule la bonne volonté des autorités municipales à étendre les Plans de Développement Urbain et à régulariser le plus possible de logements informels. Mais compte tenu des coûts des permis de construire et des coûts de raccordement aux réseaux, de nombreux ménages pauvres et modestes demeurent dans l’habitat informel. Au-delà du coût, l’obtention d’un permis de construire demeure une démarche kafkaïenne, qui nécessite l’obtention de 20 documents et une procédure en douze étapes.

Dans certaines communes, 60% des terrains publics accueillent des constructions illicites. Pour leurs habitants, la régularisation suppose d’acheter à la fois le terrain et le permis de construire. Dans l’attente, la terre est enregistrée comme propriété de l’Etat et les occupants sont enregistrés sur un fichier connexe, la « Liste des preuves », qui permet d’acter à la fois d’une situation et de l’absence de désir de frauder, même s’il maintient une zone grise sur la question de l’habitat informel.

Pour autant, dans les zones urbaines, ceux qui le peuvent essaient de régulariser leur situation, ne serait-ce que pour entériner la valeur de leur bien en rejoignant le secteur formel. Il n’existe pas de données permettant d’évaluer l’ampleur des régularisations. Ceux qui ne peuvent pas payer mais souhaitent se manifester ne se voit pas reconnaître un droit de propriété, mais sont enregistrés sur la « liste des preuves »,

Lorsque la construction ne se situe pas sur une parcelle dont l’habitant est propriétaire, il n’est pas possible d’acquérir un permis de construire, et un titre de pleine propriété, et le bien ne peut être enregistré que sur la « liste des preuves ». Lorsqu’un bien est partiellement compatible avec la réglementation urbaine (par exemple sur les zones ouvertes à la construction de bâtiments sur un seul niveau), la partie conforme peut ouvrir à un permis de construire et à un titre de propriété, tandis que les parties non-conformes du bâtiment sont, elles, enregistrées sur la liste des preuves.

La plupart des logements informels sont reliés de manière licite à l’électricité, car il n’y a pas besoin de faire la preuve d’un titre d’occupation pour ouvrir un contrat. Certains se raccordent pourtant de manière illicite, mais il n’existe pas de statistiques permettant de quantifier le phénomène.

Toutes les collectivités locales, y compris Skopje, ont désormais proposé des amendements à leurs documents d’urbanisme et de planification, mais la mise en œuvre de ces modifications sera longue et coûteuse compte tenu de l’importance du patrimoine concerné par rapport à l’ensemble du parc.

Et cela ne résoudra pas tout : la Loi sur le Planification Spatiale et Urbaine sépare toujours strictement les zones rurales et urbaines, proscrivant les usages mixtes dans les zones agricoles. Les terres agricoles étant protégées par la Constitution, le changement d’usage de l’agriculture vers une zone urbanisée n’est pas possible. En conséquence, la régularisation sur ces terrains est inenvisageable. De plus, en terme de gestion, les zones rurales et urbaines dépendant de compétences séparées entre deux ministères (en gros, de l’Agriculture et de l’Equipement). Pour des raisons à la fois de culture et de concurrence, cette division n’aide pas non plus à la recherche optimale des possibilités de régularisation sur certaines zones tangentes…

C’est d’autant plus préoccupant que la fragmentation des parcelles n’est pas limitée : il n’y a pas de taille minimale, ce qui peut conduire à la revente partielle des parcelles non-construites, menant à la construction de nouveaux logements informels.

Dans le même temps, le marché de la construction neuve s’est dégradé avec des pratiques déloyales qui se sont multipliées : logements vendus deux fois, travaux abandonnés au milieu du chantier, etc.

En 2009, pour accélérer le développement de Skopje et retrouver une forme de maîtrise sur la production, le Gouvernement a établi une hauteur minimale de 25m pour les bâtiments construits sur des parcelles inférieures à 500m2, et de 30m pour les bâtiments construits sur des parcelles plus grandes. Compte tenu des difficultés observées jusqu’à présent, le pari sur la bonne coopération entre tant de copropriétaires et avec les entreprises prestataires de la maintenance des immeubles, semble risqué.

Plan cadastral de Skopje : les parcelles barrées d’une diagonale sont occupées par une construction informelle (source : Arec 2009)

Concernant les terres agricoles, la Yougoslavie était un régime socialiste pendant quarante ans, mais même à l’époque des coopératives agricoles, 80% des terres demeuraient sous le régime de la propriété privée et les paysans restaient indépendants. Dès 1953, des formules plus souples de mutualisation ont contribué à équilibrer propriété privée et collective, les anciennes coopératives étant transformées en « entreprises de propriété sociale », les terres de ces dernières étant considérées comme appartenant à l’Etat. Les participants à ces entreprises jouissaient collectivement d’un droit d’usufruit indivis sur les terres et l’environnement pastoral des villages, les ayant-droit de cet usufruit indivis étaient recensés sur un registre idoine.

Après l’indépendance de la Macédoine, l’Etat a privatisé les entreprises de propriété sociale, mais en conservant la propriété des sols, ce qui a mis en tension la question du droit des usufruitiers de ces sols. Pour autant, de nombreuses parcelles restent enregistrées en tant que “propriété coopérative à droits d’usage”. Le Ministère de l’Agriculture, peut louer ces terres et elles peuvent faire l’objet d’une privatisation, mais elles ne peuvent constitutionnellement supporter que des bâtiments agricoles et non des habitations. Or les maisons présentes sur ces terrains ont souvent été construites par les usufruitiers qui y travaillaient. Le processus de régularisation et de transfert dans ce contexte juridique très particulier est forcément complexe et minutieux, mais les situations s’éclaircissent progressivement.

Le manque de clarté sur le statut de certaines parcelles a été le défi le plus difficile à relever concernant l’habitat informel.  La privatisation et le transfert de propriété (notamment la restitution aux propriétaires d’avant les nationalisations) ont commencé en 2000 mais n’étaient toujours pas achevées en 2010 (les ayant-droit doivent se manifester et produire les documents justifiant de leurs prétentions, pour se voir restituer les terres, ou d’autres équivalentes, justement selon les prétentions d’éventuels usufruitiers, la présence de constructions,…). Sur les zones agricoles, constitutionnellement considérées comme « bien commun », la restitution n’est pas possible et les anciens propriétaires perçoivent une indemnité compensatoire. Si la parcelle a été cédée de manière conforme à la légalité avant que l’ancien propriétaire ou ses ayant-droit ne se manifestent, ils perçoivent également une indemnité.

L’enchevêtrement de contraintes réglementaires et procédurales contribue au maintien, voire à la poursuite du développement de l’habitat informel dans le pays, notamment et paradoxalement, dans les zones agricoles, ou la régularisation est de fait à peu près impossible.

En 2011, une « Loi sur le traitement des constructions illicites » a été adoptée par le Parlement, visant à faciliter leur régularisation ; cette loi était valide pour six ans. Le Ministère de l’Equipement est responsable des équipements importants, les communes étant responsables de la régularisation des maisons d’une hauteur maximale de 10,2m.

La régularisation fait l’objet d’une charge symbolique de 1€ par m2, payable en 12 mensualités, de sorte à faciliter la régularisation de ceux qui n’avaient pas accès au dispositif antérieur faute de moyens. La détermination du coût des permis de construire est confiée aux gouvernements locaux. Une période de six mois a été ouverte aux citoyens pour fournir les éléments nécessaires à la régularisation de leur installation : certificat de nationalité, preuve du lien avec le bien visé (facture d’électricité), une évaluation légitime déterminant que la construction est illicite, avec un certificat de propriété sur la parcelle ou un contrat d’usufruit de long-terme avec le propriétaire de la parcelle.

Les habitations informelles doivent en outre être conformes aux normes sanitaires et environnementales, aux codes de la construction et de prévention des incendies.

Après avoir reçu la demande de régularisation, l’agence compétente évalue le logement via une visite de terrain et prépare un rapport assorti de photographies et des détails techniques sur le bâtiment. Elle dispose ensuite de six mois pour instruire le dossier, rejeter la demande ou l’accepter et délivrer une autorisation de formalisation. Les constructions illicites situées dans des parcs, des zones protégées, des sites archéologiques et dans les périmètres aéroportuaires ne peuvent pas être régularisés, sauf si les autorités publiques en décident ponctuellement autrement. Les ménages qui disposent d’une construction illicite sur un terrain public doivent déposer une demande d’achat de la parcelle dans les trois mois qui suit leur demande de régularisation. A défaut, les autorités déterminent une sorte de bail emphytéotique qui s’impose à l’habitant. La loi impose que toute somme perçue par les collectivités locales au titre de la régularisation des constructions informelles soit investie dans le développement d’infrastructures nécessaires à leur bon développement.

Ainsi, 354 169 demandent de régularisation ont pu être déposées avant 2012. 60% d’entre elles provenaient de la vague d’exode rural des années 1960 à 1980. Compte tenu du succès populaire de cette loi, qui faisait suite à un traitement public vraiment compliqué de l’habitat informel, l’ensemble des régularisations possibles pourraient être accomplies dans le terme des six ans fixé par la Loi, même si un noyau dur de difficultés restera difficile à résorber, du fait notamment :

  • Du manque de documents nécessaires parmi certaines communautés Rom, qui brident l’accès aux procédures ordinaires,
  • L’exigence d’un rapport géodésique représente un coût inaccessible aux requérants pauvres,
  • Si le requérant n’est pas propriétaire des sols, l’emphytéose ou le rachat de la parcelle représente également un coût difficile à supporter
  • Le manque de connaissance des prérequis et procédures de régularisation, parmi les groupes les plus vulnérables,
  • L’interprétation variable de la loi par les autorités locales peut compliquer ou favoriser certaines régularisations. Des abus ont été constatés, à la faveur des partisans du groupe politique au pouvoir.
  • Le problème essentiel de la protection constitutionnelle des terres agricoles bloque massivement l’accès à la régularisation d’une part importante de l’habitat informel.

Deux ans après l’adoption de la Loi, sur les plus de 350 000 demandes, 43 000 avaient été approuvées et 500 rejetées. Environ 20% des demandes (67 000) étaient en cours d’instruction, et 66% des dossiers (234 000) étaient suspendus en attente de complément de dossier…

Leçons retenues par UNECE, potentiellement utiles aux autres pays :

  • Les politiques visant à décourager les développements futurs de constructions informelles sont aussi importantes que les politiques de traitement de la situation existante. Cela inclut des politiques bien conçues de délivrances de permis et d’encadrement réglementaire.
  • La régularisation ne peut s’opérer qu’en coordination avec la planification urbaine.
  • Les restrictions constitutionnelles sur l’usage des sols gagneraient à être évitées, dans la mesure où elles introduisent un élément inflexible dans la mise en œuvre des politiques foncières.

 

Conclusions et recommandations de UNECE[5]

Les pays observés ont développé des approches différentes du traitement de l’habitat informel, avec des résultats hétérogènes qui conduisent à tirer les conclusions suivantes :

Mesures prioritaires pour régulariser les développements informels 

  • Des programmes d’amnistie peuvent permettre de déplacer une large part des constructions informelles, vers le secteur formel.
  • Les programmes de régularisation sont plus efficaces lorsque la conformité aux règles d’urbanisme n’est pas un prérequis à la délivrance d’un titre. Les droits sur le bien devraient demeurer distincts des contraventions aux normes urbaines et de construction.
  • Les frais de régularisation devraient demeurer accessibles, en montant et dans leur échelonnement, y compris aux ménages pauvres et modestes.
  • Les procédures trop strictes de régularisation peuvent gravement nuire au bon fonctionnement des marchés immobiliers.
  • Des dispositions méritent d’être prévues pour régulariser tout type de bâtiment, dès lors que les occupants justifient d’une occupation de long terme du terrain.
  • La réglementation de la propriété, y compris la propriété d’usage, doit être claire. Les gouvernements devraient éviter les lois redéfinissant rétroactivement la propriété sur des terrains qui ont eu un usage privatif durant une longue période.

 

Le soutien administratif à la régularisation

  • Une hiérarchie claire des institutions publiques, avec des rôles et responsabilités clairement établies, est nécessaire à la résolution d’un phénomène aussi complexe que l’habitat informel.
  • Des dispositifs devraient être établis, non seulement pour régulariser les constructions informelles, mais pour encourager les nouvelles constructions dans le secteur formel.
  • L’implication effective de la population dans le processus de régularisation gagne à être encouragé.
  • La population doit pouvoir croire à la viabilité de long terme des projets de régularisation et y participer
  • La population doit avoir connaissance des avantages de la régularisation et des procédures nécessaires pour l’obtenir.

Mesures suivant la délivrance d’un titre de propriété et de l’enregistrement des droits afférents :

  • Dans les zones soumises à risque de catastrophe naturelle, des contrôles destinés à prévenir la dégradation à grande échelle des biens et de l’écosystème, sont à organiser. Cela demande des compétences professionnelles et une éthique capable de garantir le respect des normes requises, tout en évitant des procédures coûteuses et irréalistes. Ces contrôles doivent être indépendants de l’enjeu de délivrance d’un titre de propriété.
  • Les enjeux de zonage et de planifications méritent d’être développées de manière coordonnée, à partir de données cadastrales à jour, pour à la fois permettre la régularisation et décourager de futures installations informelles.
  • Des logements sociaux abordables doivent être disponibles pour réduire la demande de constructions informelles.
  • Le manque de logements sociaux peut exacerber l’intensité de l’habitat informel.
  • Les politiques sociales d’ampleur contribuent à réduire les bidonvilles et à actualiser la qualité du logement social.
  • Le secteur privé peut contribuer à l’évaluation et au contrôle de qualité en vue de la régularisation, mais il doit être encadré réglementairement et son rôle doit être clairement défini.
  • Les politiques publiques doivent encourager la qualification adéquate des experts concernés.
  • Les lois de régularisation doivent être formulées et déclinées dans des termes qui protègent l’environnement, encouragent un statut d’occupation pérenne et promeuvent la croissance économique.

 

 

 

 

 

 

 

[1] Source : UNECE

[2] Estimation effectuée avant la terrible crise que traverse la Grèce depuis 2010.

[3] Compte tenu de la caractérisation sans nuance, j’ai jugé prudent de reprendre les termes du rapport d’UNECE (MU)

[4] Acronyme français. UNECE utilise l’acronyme en anglais ALUIZNI.

[5] Celles-ci s’appuient également sur l’observation de la situation à Chypre et au Monténégro.

 

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