Pourquoi le logement social ne parvient pas à répondre aux besoins ?

(article écrit avec Cédric Van Styvendael, alors Président de Housing Europe, publié par la revue Projet en 2018)

Des moyens engagés importants, mais des résultats qui restent médiocres

En Europe, un habitant sur dix dépense plus de 40% de ses ressources pour se loger. 50 millions ne se chauffent pas correctement et le sans-abrisme a explosé au cours de la dernière décennie. Tous indicateurs confondus, la France occupe une médiocre 10ème place au palmarès européen de l’exclusion liée au logement[1]. Notre pays compte plus de 1.8 millions[2] demandeurs de logements, les délais moyens dans les grandes villes dépassent largement plus de deux ans d’attente et, dans les quartiers d’habitat social, la ségrégation demeure une réalité.

Pourtant, en 2016, la France a enregistré la programmation de plus de 133 000 nouveaux logements sociaux, c’est le meilleur score depuis plus d’une décennie ; en 5 ans, ce sont 553 811[3] logements sociaux qui ont été programmés. La France consacre 43 milliards d’euros par an pour soutenir les politiques du logement, dont 18 milliards dans les aides à la personne ; cela représente près de 2% du PIB. Il est toujours possible de reconsidérer l’ampleur de l’effort public français, très relatif au regard de l’ensemble des recettes publiques liées à l’immobilier (taxes sur la construction, les transactions, les transmissions…), mais une réalité s’impose : les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens engagés.

Le logement social, principal levier de l’action publique

Pendant plus de 100 ans, notre modèle du logement social s’est construit progressivement autour de plusieurs principes et piliers.

– Tout d’abord c’est un modèle généraliste, c’est-à-dire que, même s’il intègre des conditions de ressources, il s’adresse à une large part de la population. Selon l’INSEE, 74 % des ménages français peuvent prétendre à un logement social[4]  – soit environ 18 millions de ménages –  pour un parc qui compte près de 4.5 millions de logements. C’est en réalité un peu théorique puisque, ensuite, pour l’attribution des logements, des critères de priorité sont mobilisés par les organismes de logements sociaux et les collectivités locales : ancienneté de la demande, caractère d’urgence… Cette priorisation introduit plus qu’une restriction quantitative : elle introduit un biais moral entre le droit à prétendre et la légitimité à demander. Cela s’inscrit dans une évolution globale des services publics censés permettre la pleine jouissance des droits sociaux, mais qui deviennent des instances de tri, de suspicion sur le ménage pour évaluer sa légitimité à être prioritaire, sa « capacité à habiter ». Pour autant, malgré cette limite actuelle dans les mécanismes d’accès au logement social, celui-ci loge un ménage sur six en France et contribue, par son ampleur, à structurer le secteur du bâtiment et à dessiner les villes de demain.

–  Ensuite, c’est un modèle qui est censé s’équilibrer entre les loyers des locataires et les aides directes ou indirectes[5] perçues par les bailleurs, pour leur permettre de proposer des loyers inférieurs au marché (entre et 20 et 60 % de moins). Les bailleurs sociaux ne bénéficient pas de subvention de fonctionnement par exemple. Seul le différentiel entre les loyers perçus et les dépenses de fonctionnement et d’entretien de leur du parc, leur permet de constituer les fonds propres nécessaires aux opérations de construction neuve et de réhabilitation.

Ce modèle s’appuie sur des prêts de longue durée consentis par la Caisse des Dépôts, sur la base du Livret A. C’est la collecte unifiée de l’épargne des Français qui assure la production de leur logement abordable, dans des conditions constantes. C’est un système unique en Europe, très stable, ce qui le fait apparaître poussiéreux dans les périodes d’euphorie et de créativité financière, mais particulièrement opportun lorsque, dans les périodes de baisse de la production privée, il joue un rôle contra-cyclique ; nos pays voisins sont, eux, beaucoup plus impactés.  Après la crise de 2008, lorsque les taux d’intérêt ont augmenté et que les banques sont devenues frileuses sur les prêts de long terme, les bailleurs sociaux anglais devaient emprunter à taux variable sur 15 ans. Pour générer des loyers supportables dans ces conditions, les collectivités locales ont dû apporter des subventions importantes, qui ont considérablement réduit la capacité de production (avec le même montant, il est possible de soutenir moins de logement, si le coût unitaire est plus élevé).
Le logement social est un levier central de l’action publique en termes de logement, mais aussi en termes de politique économie et de stratégie financière. A titre indicatif, le montant d’encours de la Caisse des Dépôts et Consignations atteignait 237 milliards d’euros en 2017[6].

– Enfin, les logements sociaux ont dû répondre au fil des décennies à plusieurs enjeux qui ont profondément induit leur forme et leur localisation actuelle. A la fin du XIXème siècle, il s’agissait de loger les salariés et de répondre à des préoccupations hygiénistes. Au début du XXème, il a fallu accueillir les mouvements migratoires internes issus de l’exode rural et ceux venus d’Italie, d’Espagne et de Pologne. Après-guerre, il fallait reconstruire, reloger et lutter contre l’habitat indigne et l’absence de logement décent. « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée. Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent! »[7]. Et au début des années 60,  il a fallu accueillir les 800 000 rapatriés d’Algérie. Pour faire face à cet afflux et à une crise du logement toujours plus criante, ce sont plus de 2.2 millions de logements qui seront construits dans les 197 ZUP, en 12 ans entre 1957 et 1969.

Cet héritage est à la fois un capital en termes d’offre de logement, une ressource en termes de recettes locatives et une charge en termes d’entretien, de réhabilitation. Surtout, ce parc construit rapidement et « efficacement » est concentré sur des segments géographiques particuliers, qui contribuent à la ségrégation socio-spatiale des villes. Le logement social n’est pas l’agent des inégalités, au contraire, mais sa distribution géographique en fait le reflet. Par une sorte de métonymie, le logement social est considéré comme porteur, voire générateur, des difficultés que sa densité révèle. Les commentaires négatifs à l’endroit du logement social ont conduit à une attaque frontale du secteur par la loi de finance 2017, qui prévoit une réduction de 1,7 milliards de recettes[8]. Tout est perfectible, le logement social aussi et il est heureux qu’il soit stimulé sur ses faiblesses, mais il ne faut pas accuser l’aspirine d’être cause de la fièvre au motif que les consommateurs d’aspirine sont fiévreux… Les quartiers ségrégés sont le produit des inégalités sociales et économiques, pas du logement social, ni des politiques de solidarité qui ne parviennent plus à suffisamment les compenser.

Avec son stock important, sa capacité de production élevée et son modèle de financement à peu près stable, le modèle de logement social français est considéré comme l’un des plus robustes d’Europe[9]. La France est, à ce jour,  le pays qui construit le plus de logements sociaux en absolu et en proportion. Par ailleurs, elle est avec les autres pays européen disposant d’un parc de logement public important l’un des pays les plus avancés dans le chantier de la transition énergétique dans le secteur de l’habitat.

Pour autant, force est de constater que cela ne suffit pas. Trop d’attente non satisfaites, trop de personnes sans logement, des logements trop chers même dans le parc public : le logement social devient lui-même difficilement abordable pour les plus modestes. Les plus abordables (PLAI)  oscillent entre aujourd’hui entre  5 et 7 € le m2/mois, un loyer bien supérieur aux logements sociaux anciens. Parallèlement, les aides au logement ont été décorrélées des « loyers réels pratiqués » augmentant progressivement le taux d’effort des ménages logés dans le parc social mais pas seulement.

La faute à qui et quels éléments de réponses peut-on mobiliser ? En France, il est de bon ton de railler le secteur du logement social. Il serait ringard, improductif, rétif à l’innovation en somme un vestige de l’ancien monde. Qu’en est-il exactement ? D’un point de vue européen la comparaison permet de porter un regard nettement plus nuancé. Que ce soit en matière de production les logements sociaux neufs,[10] de rythme et d’ambition des réhabilitations[11] énergétiques et de concentration des opérateurs[12], le logement social français est aux avant-postes dans les classements de performance.

Quels sont donc les véritables maux du logement social français ?

1- Le manque de préparation à l’évolution des besoins

Sur un plan quantitatif, il y a un manque de logements évident,[13] les besoins sont estimés entre 500 000 et 800 000 logements, dont la moitié de logements sociaux.[14] Mais ces estimations se fondent sur des variables exogènes mal connues, comme le renouvellement du nombre de ménages, issu des mouvements de décohabitation familiale de jeunes, les divorces, les séparations, ainsi que le solde démographique.

Les ruptures conjugales ont fait exploser le nombre de ménages mal solvabilisés. En sous estimant le nombre de personnes par ménage moyen, nos outils de planification ont sous-calibré les besoins en logements neufs à la fin, notamment, des années quatre-vingt. La taille des ménages s’est réduite et leur capacité financière aussi, en raison de la diminution des familles nombreuses, mais surtout des séparations des parents et du veuvage, entraînant des besoins supplémentaires de logements : entre 1984 et 2006, le nombre de ménages est passé de 19 millions à près de 26 millions, leur taille moyenne passant de 2,9 à 2,3 personnes[15], avec des évolutions de structures familiales (garde partagée, recompositions conjugales) mal prises en compte autant par l’architecture que par les mécanismes de solvabilisation.
La production actuelle est encore largement trop fondée sur des chiffres nationaux qui tentent de répondre à l’état de la file d’attente, et parfois même telle qu’elle devrait être, plutôt que d’anticiper les évolutions à venir. Les demandeurs de petits logements sont nombreux :  beaucoup de petits logements sont produits. Or il est probablequ’à l’avenir émergera surtout besoin de logements évolutifs, une sorte de T3 +1 ou -1  pour répondre au mode de vie, mais peu cher …
Notre analyse des besoins mésestime définitivement la croissance démographique[16] et les tendances de fond, comme le maintien à domicile des personnes vieillissantes, et l’allongement de la durée de vie.  Cette erreur d’appréciation sera probablement à l’origine de la prochaine grave crise du logement que connaîtra notre pays.

Les migrations internes ont polarisé les marchés du logement, avec des territoires très tendus et d’autres en déprise. Selon le géographe Christophe Giulluy, seuls 36% des français vivent dans les bassins d’emplois attractifs des grandes métropoles[17]. Or il s’opère un exode des villes moyennes vers ces centres urbains saturés, où viennent aussi se concentrer les difficultés sociales. Cette désorganisation territoriale, lente mais massive, créée une tension très forte sur une quinzaine d’agglomérations en France, pendant que la majorité des 36 000 communes françaises s’enfonce dans une dépression du marché immobilier.

Le vieillissement de la population nécessite une adaptation massive du logement social est cette crise est encore à venir. Aujourd’hui déjà, un tiers des locataires du logement social sont des retraités. La majorité d’entre eux disposent de revenus modestes qui vont rendre difficile l’accès aux prestations sanitaires idoines. Le nombre de logements adaptés à la mobilité réduite est nettement insuffisant pour répondre aux besoins à venir de relogement (et la Loi Elan ne va rien arranger, qui projette de réduire à 10% le nombre de logements adaptés à la mobilité réduite dans la construction neuve, contre 100% actuellement, justement pour répondre au retard…,).

Enfin, le chômage de longue durée et l’exclusion sociale désorganisent l’ensemble des mécanismes de solidarité, fondés sur le travail. Le logement social a été conçu pour répondre temporairement aux besoins des familles de travailleurs. Il a été conçu comme palliatif au manque de logement des travailleurs, comme alternative à l’insalubrité du parc privé pour les travailleurs, comme cadre d’accueil des travailleurs immigrés ou rapatriés. Les loyers, les mécanismes de financement (le 1% logement), la densité, ne sont pas adaptés à l’accueil massif de personnes durablement précarisées. Les allocations logement avaient été inventées en 1977 comme un astucieux subterfuge : une dépense qui se résorberait dès le retour au plein emploi. Dans les années récentes, elles dérapaient encore de 800 millions d’euros par an, vu l’accroissement du nombre de ménages qui y ont recours, malgré le resserrement régulier des critères d’accès et de leur pouvoir solvabilisateur. Depuis 1977, les politiques de l’habitat attendent un « retour à la normale » sur le front de l’emploi. 40 ans d’attente, sans s’adapter à la stase sociale présente.

2- Des outils inadaptés à orienter l’offre significativement

La difficulté éprouvée par le logement social à répondre aux besoins et la conjonction d’une évolution mal anticipée des besoins et de la raréfaction de l’offre abordable liée à l’explosion des prix, mal anticipée également.

L’Absence de foncier abordable et régulation insuffisante. Le dérapage des prix du foncier est l’un des principaux obstacles à l’agilité dans la construction et le remembrement des villes. Après la flambée des années 1990, l’idée s’était répandue que la France avait connu un prix inédit, annonciateur d’une pause et les premières données postérieures à la crise de 2008 donnaient crédit à cette hypothèse. Malheureusement, avec un peu de recul, la flambée à repris. De 2000 à 2010, l’indice du prix des logements a augmenté de 107 % alors que les revenus ne se sont accrus que de 25 % ; le logement représente désormais près de la moitié des dépenses des ménages français les plus pauvres (premier décile) et un quart des dépenses de l’ensemble des ménages, sans tenir compte du coût des transports, souvent important lorsqu’il faut s’éloigner pour trouver un prix adapté[18]. A Lyon, l’indicateur à même des vertus mnémotechniques, dans le Rhône (69), les prix ont augmenté de 69% entre 2010 et 2015[19].

La rente foncière pose une question politique plus large, de trou noir de l’effort productif. L’augmentation du prix des sols, sans augmentation de valeur, est à la fois une destruction de la valeur productive et un élément central de la concentration des richesses. Pour ce qui nous concerne ici, le dérapage des prix du foncier dans certaines zones contribue à ralentir la production, à alourdir la facture de la production de logement social pour la collectivité, à renforcer la ségrégation entre zones attractives et zones en déprise.

Les outils d’aménagement et de régulation issus de la seconde guerre mondiale ne permettent plus d’influer de manière suffisante sur les fièvres du marché foncier. Les Plan Locaux d’Urbanisme et les Etablissements Publics Fonciers sont utiles, voire nécessaires, mais l’arsenal des moyens de la collectivité pour faire primer les enjeux d’intérêt général sur les forces chaotique du marché, pour le développement harmonieux des villes, doit être étendu. Et inversement, les moyens mis à disposition des intérêts particuliers pour contrecarrer l’intérêt général doivent être mieux encadrés.

Le parc social ne peut jouer pleinement son rôle correcteur, que dans le cadre d’un marché privé peu près pacifié et à peu près adapté à la structure des besoins et des moyens de la population.

3- Un système du logement public totalement « embolisé »

Sur les 1.8 millions de ménages inscrits dans le Système National d’Enregistrement de la demande de logement social, près d’un tiers sont déjà logés dans le parc social et le taux de rotation (les ménages qui quittent annuellement leur logement) ne dépasse pas les 10 %. La fluidité est un enjeu massif : lorsque le taux de rotation augmente de 1%, cela génère 50 000 propositions de logements. Ce manque de rotation est essentiellement lié à la pénurie et à l’archaïsme du système d’attribution : c’est encore les détenteurs de l’offre qui choisissent un locataire pour leur logement, alors que dans les autres pays européens, l’offre est progressivement rendue transparente et ce sont les locataires qui choisissent leur logement, ce qui réduit les refus (donc la vacance intersticielle) et améliore l’adaptation des réponses aux besoins et désirs des habitants, qui ne sont pas un désir d’ailleurs abstrait, mais une démarche proactive.. Par ailleurs, le différentiel entre les loyers HLM dans l’ancien et dans le neuf est tel qu’il rend pécuniairement impossible certains souhaits de changements[20]. Enfin, il ne faut pas mésestimer le coût des mutations pour les bailleurs sociaux qui doivent rafraîchir les logements : une augmentation de la rotation est une charge supplémentaire pour les organismes.

Résultat, le taux de sur-occupation et de sous-occupation est insatisfaisant. Sur la métropole de Lyon, par exemple, on estime à 5000 le nombre de ménages en sous-occupation dans le parc social (un écart de 2 entre la composition familiale et la typologie du logement) et à 5000 le nombre de ménages en sur-occupation. Il y a donc une possibilité endogène à explorer pour diminuer la pression de la demande de logement en favorisant les mutations et les parcours, notammentdévelopper les systèmes d’attribution laissant une plus grande place aux demandeurs eux-mêmes qui ont fait leurs preuves dans de nombreux pays du nord de l’Europe[21].

Par ailleurs, le système français surdétermine les propositions de logement  en fonction de filières d’accès segmentées et qui dénaturent parfois la demande. De nombreux ménages souffrent simplement d’un manque de logement, mais au regard de la pénurie, ils sont orientés vers les dispositifs d’hébergement ou de logement accompagné avec un double effet, celui d’occuper inutilement une place qui coûte plus cher que le logement social classique et celui de ne pas avoir un logement de droit commun auquel il pourrait prétendre. Les politiques locales de l’habitat, qui ont choisi de piloter conjointement ces différents dispositifs et de favoriser les passerelles entre les différents secteurs, ont réussi à diminuer en partie la pression de la demande en réaffectant les réponses aux besoins pour lesquelles elles sont conçues. Par ailleurs, les expériences de logement d’abord menées aux Etats Unis, au Canada et, récemment,  en France ont démontré leur efficacité et leur rentabilité. Le taux d’intégration et de maintien dans le logement est extrêmement satisfaisant et le coût 2 à 3 fois moindre que les solutions d’hébergement d’urgence.

4-Le logement ne peut pas être un bien de consommation comme les autres

Le logement de tout temps a été la valeur refuge des investisseurs et des épargnants. Il est en France le « placement préféré » des français. Cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord la progression constante de sa valeur dans les territoires tendus malgré les différentes crises immobilière qu’a connues notre pays au cours des 50 dernières années. Nous sommes aujourd’hui revenus au-delà des prix qui ont conduit à la crise de 2008 sans qu’il n’y ait, sinon au niveau européen, d’alerte quant au risque de surchauffe. Ensuite, le soutien de ce type de placement par des mesures fiscales extrêmement favorables qui visent essentiellement à soutenir l’appareil de production sans effet évident sur l’abordabilité financière des logements produits. Alors même que le coût de cette défiscalisation (loi Scellier, Pinel, Dufflot, Bouvard,…) est supérieur au milliard d’euros annuellement[22]. Enfin, dans des périodes d’incertitude concernant le financement des retraites, il est devenu le principal outil de complément de revenus pour les retraités. Ces effets conduisent à une surchauffe régulière des prix avec les impacts que nous avons décrits ci-dessus.

Et, pourtant, les différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ont toujours refusé la mise en œuvre de véritables dispositifs de régulation que ce soit sur le prix du foncier ou le prix des loyers. Nous sommes donc confrontés à une équation quasi insoluble puisque l’on fait porter sur l’offre seule, la capacité à réduire les coûts du logement alors que la majorité des économistes s’accorde à dire que la massification de la production (le fameux « choc de l’offre ») n’a qu’un impact très limité sur les prix du logement[23] . Nous sommes convaincus et deux villes (Paris et Lille) en ont fait récemment une expérience concluante que la régulation des prix est un des outils qui améliorera la production de logements abordables. L’Allemagne si souvent mise à contribution dans le « benchmarking » européen, sensé nous convaincre que décidemment notre système de financement du logement est trop onéreux, pratique depuis longtemps cette régulation (« Mietspiegel ») assorti d’un parc locatif abondant (57 % contre un peu moins de 40% en France). Il ne s’agit bien sûr aucunement de nationaliser la production de logements, mais d’en faire un bien de consommation particulier, protégé des appétits parfois insatiables des opérateurs privés qui conduisent aujourd’hui, sur une agglomération comme celle de la métropole de Lyon à acheter plus cher le m2 de foncier constructible que le m2 de coût de construction moyen. Cette bataille devra également se mener au niveau d’une Europe très sensible aux lobbyistes de la promotion privée qui rêvent de se voir confier les rênes de la production du logement sans aucune intervention étatique possible.

Mieux calibrer les besoins, produire là où cela est nécessaire, fluidifier les parcours résidentiels et réguler les prix, voilà quelques orientations qui pourraient améliorer la politique du logement en France. Car le problème aujourd’hui n’est pas celui du parc social uniquement, mais bien de la politique du logement dans son ensemble. Seule une approche holistique pourra nous permettre d’améliorer collectivement la situation. Cette amélioration est fondamentale dans notre pays et au niveau européen également. Le coût du mal logement en Europe (4 millions de ménages concernés en France)  est estimé à près de 198 milliards d’euros par an. Par ailleurs, la nécessité de poursuivre les investissements est aujourd’hui clairement affichée par la commission européenne, il manque chaque année 57 milliards d’euros à consacrer aux politiques du logement[24].

Sans cette intervention volontariste de l’Etat, les chiffres du mal logement continueront de s’aggraver et suivront la tendance européenne qui permet d’affirmer aujourd’hui que le manque de logement abordable est devenu une arme de destruction massive de la cohésion sociale.

Ce secteur d’activité a su répondre à la plupart des enjeux sociétaux auxquels il a été confronté au cours du siècle dernier. S’il est confronté à des limites aujourd’hui il n’existe pas d’autre outil correcteur du marché et susceptible de garantir le droit au logement. C’est à nous tous, collectivement, de l’aider à s’adapter et à le faire évoluer avec détermination, pour répondre aux enjeux à venir

[1] La Finlande est le seul pays membre dont le taux de sans-abri diminue, 3 ème regard sur le mal-logement, FEANTSA 2018

[2] Chiffre au 31/12/2016, Ministère Cohésion des Territoires

[3] Entre 2011 et 2016, données : Ministère Cohésion des Territoires, mise à jour le 22/03/2017

[4] https://www.insee.fr/fr/statistiques/1290403

[5] aides à la pierre, TVA minorée, exonérations fiscales, prêt à taux bonifié,…

[6] Source Caisse des Dépôts : http://www.caissedesdepots.fr/fileadmin/sites/ra2016/fondsdepargne/solide.html

[7] Appel de l’Abbé Pierre 1954

[8] Voir par exemple Le Monde du 3 novembre 2017 : « l’assemblée vote des coupes claires dans les aides au logement » : http://www.lemonde.fr/logement/article/2017/11/03/l-assemblee-vote-des-coupes-claires-dans-les-aides-au-logement_5209455_1653445.html

[9] Voir par exemple Metropolitics, 26 septembre 2012 : « Social housing in Europe : the end of an era », par Noémie Houard. http://www.metropolitiques.eu/Social-housing-in-Europe-the-end.html

[10] 133 000 logements programmés en 2016, données ministère de la cohésion des territoires

[11] 110 000 logements rénovés en 2016, Rapport  sur l’état du logement 2017, Housing Europe

[12] En 2016, avec 6557 logements gérés par opérateur la France se classe 3ème en Europe après les Pays Bas et l’Italie : données Union Sociale pour l’Habitat et Housing Europe.

[13] La « crise du logement » n’est pas (seulement) celle qu’on croit, Yankel Fijalkow [17-06-2013]

[14] Jacquot, A. 2002. « La demande potentielle de logements. L’impact du vieillissement de la population », Insee Première, n° 875, décembre et Mouillart, M. 2007. « Des besoins durablement élevés », Constructif, n° 18, novembre

[15] Avis du Haut conseil de la Famille 2012, Famille et Logement

[16] « Quand vous regardez les statistiques de 2030, la population aura augmenté de 7 millions de personnes, soit 4 millions de ménages et 400.000 logements de plus à fabriquer par an. » Alain Dinin PDG de Nexity in La Tribune du 21/02/2018

[17] Christophe Giulluy : La France Périphérique. Champs. Paris. 2014

[18] Arnault S., Crusson L., 2012, « La part du logement dans le budget des ménages en 2010. Alourdissement pour les locataires du parc privé », Insee Première, n° 1395, INSEE

[19] Selon Le Progrès du 13 avril 2017 : http://www.leprogres.fr/lyon/2017/04/11/terrains-a-batir-pourquoi-les-prix-s-envolent

[20] Une personne âgée logée dans un T4 qui souhaiterait changer pour un logement plus petit (T3 ou T2) et plus central par exemple peut se voir proposer un loyer plus important

[21] Il y a 30 ans au pays bas et 20 ans au royaume unis des dispositifs de location choisie ont été développées (Choice based letting) sur un principe assez simple visant à rendre visible l’offre de logement disponible aux demandeurs pour les aider à définir leur stratégie résidentielle.

[22] Immobilier : le très cher dispositif Pinel Pierre MADEC – LES ECHOS | le 22/04/2016

https://www.lesechos.fr/22/04/2016/LesEchos/22177-032-ECH_immobilier—le-tres-cher-dispositif-pinel.htm#3RQMcmwqyF4BT2FP.99

[23] Alternatives économiques, Loi ELAN : les risques d’une impulsion mal maitrisée, Pierre Madec  05/04/2018

[24] Boosting Investment in Social Infrastructure in Europe, 23 January 2018, Author :  Lieve Fransen Gino del Bufalo Edoardo Reviglio. Economic and Financial Affairs

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