Portée et limites des obligations à impact social dans la recomposition du champ de l’hébergement

(pour le Rapport du Haut-Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées 2018)

 

Que sont les obligations à impact social ?

Les obligations à impact social visent à trouver des investisseurs pour produire des solutions nouvelles. Ces investisseurs prennent un « risque », qui est rémunéré, notamment par les coûts évités. Ce dispositif a été expérimenté dans le champ de l’urgence sociale, notamment au Royaume-Uni, ou l’association Thames Reach a proposé un service aux sans-abri, avec remboursement par la collectivité sur les coûts évités (entre autres au système de santé), par rapport à la situation antérieure[1].

En France ce dispositif a été expérimenté dans le secteur de l’habitat et l’urgence sociale, par Adoma, via le fonds Hémisphère, doté de 100 millions d’euros, qui créé des places d’hébergement d’urgence en alternative à l’hôtel. Dans cet exemple, six partenaires institutionnels prennent le risque de ne pas parvenir à réaliser des économies par rapport à l’accueil en hôtel et se rémunèrent sur ces éventuelles économies.

 

Trois intérêts du dispositif

Le premier intérêt des obligations à impact social est leur capacité à encourager l’innovation. Elles permettent à des acteurs d’expérimenter des solutions, l’Etat et les collectivités territoriales n’ayant pas à s’engager sur de nouveaux paradigmes, de nouveaux dispositifs, mais uniquement à vérifier le service rendu et le rapport coût/bénéfice par rapport aux alternatives existantes. C’est donc un dispositif favorable à l’innovation et à un changement de modalités de pilotage, qui susceptible de permettre une plus grande agilité de la commande publique.

Ensuite, l’apport d’argent privé est un booster contribuant à faire face à des crises ponctuelles : l’augmentation des dépenses est amortie par les investisseurs et lissée dans le temps, du point de vue des dépenses publiques.

Enfin, le troisième intérêt de l’obligation à impact social est d’être orienté sur les résultats, à partir d’indicateurs clairs. Dans une ère où les « bonnes pratiques » relèvent parfois de l’auto-célébration, et où la qualité des services proposés n’empêche pas la dégradation de la situation sociale, l’émergence de politiques et d’expériences fondées sur les résultats apporte une correction pragmatique intéressante.

 

Trois limites du dispositif

La limite la plus importante est le revers de ce troisième intérêt de l’obligation à impact sociale : en orientant les politiques sur une logique de résultat à court-terme, elle menace de biaiser le service, qui se focalise sur les indicateurs retenus. Cela peut-être vrai en matière de qualité de services, dès lors qu’il s’agit de réduire les coûts par rapport aux alternatives existantes. Les obligations à impact social portent dans leur essence la course au moins-disant économique, qui ne peut pas être sans effet sur la qualité de service. Il y a toujours des gâchis et des gains de productivité à trouver, mais le partage de l’économie réalisée par l’alternative au gâchis ne peut pas être érigée en système, au risque de fabriquer des pseudo gâchis… Les cost-killers ne réalisent pas toujours des économies sur les postes les plus opportuns.

La focalisation sur les résultats peut également être génératrice de filtres à l’accès aux services. Un service de retour vers l’emploi qui se donnerait comme critères d’efficacité le nombre de personnes ayant accédé à un emploi a le choix entre sélectionner les personnes les plus proches de l’emploi, ou dégrader ce qui est considéré comme un emploi. Au Royaume-Uni, la garantie jeune qui garantissait à toute personne l’accès à un emploi ou une formation dans les trois mois s’est rapidement transformé en machine centrifuge, distribuant des formations factices d’une journée, uniquement pour satisfaire au critère.

Le contrôle démocratique des critères d’efficacité et des risques de discriminations est donc une condition d’utilisation des obligations à impact social.

Le rapport qualité/prix doit être assort d’un plancher en termes de qualité, pour ne pas tendre vers zéro.

 

Une perspective intéressante inédite : un véhicule pour le transfert de charges entre collectivités publiques

Une limite des réponses aux besoins sociaux est que bien souvent, les investissements d’une collectivité publique fait réaliser des économies à un autre niveau de responsabilité institutionnelle. Il est connu et évalué de longue date que le relogement des sans-abri ou la lutte contre l’insalubrité permettent des économies au système de santé bien supérieures au coût des aides apportées en matière de logement. Le problème est que les collectivités territoriales qui vont consentir les investissements et aides directes ne bénéficient pas des économies réalisées. Et le système de santé n’est pas en mesure de financer les aides au logement au titre des bénéfices qu’il en retirera.

Dans cette optique, un contrat à impact social, permettrait d’assurer un transfert des charges entre collectivités. Une collectivité territoriale pourrait, sur la base d’évaluations partagées, conventionner avec la CPAM, l’ARS, la CARSAT pour bénéficier d’une partie de l’argent économisé par ces institutions lorsqu’elle investit dans certains logements qui permettent clairement d’établir ces économies.

Les obligations à impact sociales pourraient ainsi devenir l’un des moyens de mieux articuler les politiques publiques trop étanches entre elles.

 

 

 

 

[1] L’évaluation est disponible ici : https://thamesreach.org.uk/wp-content/uploads/2017/11/Social-Impact-Bond-for-Ennched-Rough-Sleepers.pdf

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