(Un article de 2006, mais pas trop désuet…)
La décentralisation progressive des politiques sociales dessine un nouveau contexte, dans lequel la solidarité est individualisée, c’est-à-dire distribuée au cas par cas. Les politiques migratoires, hospitalières, le traitement du chômage, l’accès au logement, tendent à se ranger sur ce modèle.
Progressivement, sur l’ensemble de la protection sociale, les individus ne réfèrent plus à des droits, mais à la décision optionnelle de leurs interlocuteurs.
Derrière les réformes des mécanismes de solidarité, apparemment techniques et ponctuelles, un mouvement de fond s’engage, qui recompose le rapport entre l’individu et la collectivité. Sous prétexte de contrat, de traitement individualisé, le dérapage de la protection sociale reflète le glissement de la société vers une organisation tournée autour de la souveraineté.
Au bon souvenir des droits de l’homme : la désolation de la Loi
A l’issue de la seconde guerre mondiale, les droits de l’homme se sont imposés au cœur de notre architecture politique et juridique, au point d’être intégrés au préambule de la constitution française.
Les droits de l’homme sont constitutifs du texte constitutif de notre nation. Sans droits de l’homme, pas de nation.
A travers l’ONU, le monde est pris à témoin de cet engagement à respecter des droits fondamentaux permanents, indépendants de tout contexte politique ou historique.
Cette valorisation des droits universels, découle de l’idée que l’appartenance au genre humain prime sur les catégories sociales. Aucune dérogation aux droits fondamentaux ne peut être justifiée par un statut juridique ou administratif, par une situation exceptionnelle. Des droits spécifiques peuvent exister, bien sûr, mais toujours dans le respect du socle universel que sont les droits de l’homme. Ils sont le sol commun de l’humanité, sa définition juridique : puisqu’ils sont attachés au genre humain, ceux qu’ils ne protègent pas sont soit des animaux soit des dieux, pour paraphraser Aristote. Les droits
ne sont pas négociables dans le cadre du contrat social ; leur protection est l’objet même du contrat social, la finalité du politique.
Les deux côtés du rideau de fer se sont donc entendus en 1946 sur ce principe fondamental hérité de Kant et érigé en opposition commune au modèle hitlérien : en tout homme, l’humanité est une fin, non un moyen. La valeur de la vie d’un individu n’est pas quantifiable ; tous les hommes sont égaux en
dignité.
Issus de cet axiome, nos dispositifs de protection sociale visaient à garantir les droits, c’est-à-dire une couverture universelle des risques sociaux attentatoires à la dignité. Pour les individus qui passaient malgré tout à travers les mailles du filet, des dispositifs d’assistance sociale visaient à leur insertion dans ce champ d’universelle protection. L’insertion ne signifie pas le retour à une norme sociale, mais le retour à l’universalité des droits. Ce n’est pas un mouvement de l’individu, mais un élargissement de la protection collective. Ici, le verbe insérer n’est pas transitif.
L’universalité des droits impose à la collectivité de dégager les moyens nécessaires à leur exercice. Par exemple, le RMI ne s’arrêtait pas une fois atteint un nombre maximum d’allocataires ; l’Etat répondait aux besoins et faisait les comptes à la fin de l’année.
Ces dernières années, cette référence aux droits s’est effritée, comme en témoigne les railleries régulières à l’encontre des droits-de-l’hommistes, ces professionnels de l’indignation, ce syndicat des
vertueux… Ces saillies sont le reflet d’une évolution profonde de notre société, qui tend à déboulonner la nation de son socle de droits de l’homme. Progressivement, en matière de protection sociale, les lois ne renvoient plus aux droits, mais à la responsabilité individuelle, sous forme de pseudo-contrat, qui
laisse en réalité les individus concernés à la merci de l’évaluation de leur interlocuteur. C’est la logique même du RMI lié à un » contrat d’intégration « , qui porte en son germe la valorisation de la France qui se lève tôt, faisant porter aux individus la responsabilité de leur chômage, comme si les dynamiques individuelles pouvaient suffire à corriger les mécanismes structurels contribuant au niveau de chômage. Lorsque le paradigme du contrat s’invite dans la protection sociale, la responsabilité individuelle ne met plus en jeu le succès ou le bonheur d’un individu, mais ses droits, c’est-à-dire ses conditions de survie, physique et légale. En perdant sa référence aux droits, la Loi entre dans un processus de désolation1, sans ancrage, donc sans autre légitimité que celle conférée par le pouvoir, qui prétend s’affranchir de tout cadre au nom de sa légitimité populaire, ouvrant la porte à n’importe quelle dérive, que les excès du XXème siècle commis par des gouvernements « populaires » invitent à appréhender avec circonspection.
Quand la catégorie prime l’individu : le réfugié, indice de l’universel
Le traitement des réfugiés est emblématique de la dégradation de l’antériorité de l’individu sur son statut social, dans le rapport qu’il entretient à la collectivité. Hannah Arendt définissait déjà la question des réfugiés comme le test par excellence du caractère universel des droits de l’homme, parce
que ce sont justement des personnes déclassées, dont les droits ne peuvent pas être liées à un statut social. Alors, qu’est-ce qu’un réfugié ?
Puisque les droits sont universels, tous les pays se sont engagés à offrir aux réfugiés les conditions les plus favorables accessibles aux étrangers. La convention de Genève considère réfugiée « toute personne craignant avec raison d’être persécutée » en raison de sa race, sa religion, de ses opinions
politiques, etc. Autant dire qu’une bonne moitié de la planète peut prétendre à ce statut. Cela ne posait pas de problème tant que restait vivace le souvenir de familles françaises, deux fois réfugiées en vingt-cinq ans, et la culpabilité secrète des drames du siècle passé. Mais les temps changent et désormais, les
réfugiés, c’est les autres.
Alors les gouvernements successifs ont progressivement rogné les droits des réfugiés. Dans les années 80, on invente le statut de « demandeurs d’asile », une période probatoire, le temps pour l’Etat de statuer sur la qualité de réfugié, accordée aux individus qui s’en réclament. Etre réfugié n’est plus un état correspondant à un droit, mais le fruit d’une décision souveraine de l’Etat.
A partir de 1991, le doit au travail et les aides au logement ne sont plus reconnus aux demandeurs d’asile, au motif de délais d’instruction réduits qui n’existeront jamais dans les faits. Depuis 1998, la France a inventé des sous-catégories de réfugiés ne relevant pas de la convention de Genève, sans
droits sociaux garantis : l’asile territorial, puis l’asile humanitaire, l’asile subsidiaire….
Dans le même temps, l’OFPRA, l’organisme statuant sur la qualité de réfugié n’a cessé de rigidifier son interprétation de la Convention de Genève. Pour obtenir le précieux sésame, il ne s’agit plus de craindre avec raison d’être persécuté, mais d’apporter la preuve individuelle des persécutions subies.
Les droits qui sont passés au travers de l’élagage réglementaire ne survivent pas à la glaciation du guichet instructeur. En perdant leurs droits sociaux, les demandeurs d’asile n’ont pu compter que sur des dispositifs spécifiques sous-calibrés (les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile – CADA), ou
sur les dispositifs de traitement de l’urgence sociale, déjà saturés : hébergement d’urgence, distribution alimentaire, etc. dont ils sont venus grossir les files d’attente, justifiant l’introduction de critères de légitimité, dans les services les plus élémentaires. Les services administratifs et les opérateurs concernés ont été amenées à trier la demande, c’est-à-dire à multiplier toujours plus finement les
catégories de primauté, puis d’éligibilité aux droits sociaux.
Bref, les étrangers exilés, sont réduits à l’état de sans-abri, sans-ressource, sans-école, publiquement désignés comme « sans-papiers », c’est-à-dire une catégorie de vulnérabilité produite administrativement. La catégorie pour lesquels l’humanité ne prime pas sur le statut social. Ils ne sont pas les seules exclus, mais ils ont une caractéristique particulière : c’est en raison de leur statut
administratif qu’ils sont dans cette extrême pauvreté. Les droits individuels sont devenus une variable d’ajustement des politiques migratoires.
Ce n’est ici qu’une illustration de la classification qui gagne, permettant paradoxalement un traitement individualisé, c’est-à-dire avant tout et délibérément non référencé. Les retraites, l’assurance chômage, les systèmes de santé, visent à la « responsabilisation » des individus, c’est-à-dire à la relativisation des responsabilités de la collectivités à leur égard, sur leurs besoins les plus essentiels.
Nous nous enfonçons dans ce que Michel Foucault appelle le bio-politique, c’est à-dire l’administration de la vie même par la collectivité. Et cette prétention à définir administrativement la légitimité à survivre en fonction d’une identité sociale est une caractéristique politique inquiétante, dont l’universalité des droits de l’homme prétendait précisément nous éloigner. La protection de la vie n’est pas une variable politique, mais la définition même de la fonction de la Cité, » engendrée en vue de la vie, existant en vue du bien-vivre » , comme la définissait Aristote.
Le désintérêt organisé pour la marge est un renoncement à la démocratie. Dans la Grèce antique, le Demos, est l’ensemble de ceux qui n’ont pas de place déterminée dans l’ordre social. A la Révolution, le Tiers-Etat est défini par la négative, ni noble, ni ecclésiastique. L’ordre démocratique a toujours toujours mis en position centrale ceux qui n’ont pas de statut. La mise au ban, l’exclusion organisée par la conjonction du recours à la responsabilité individuelle et la classification administrative dedans/dehors constituent un renversement de l’idée même de démocratie, qui valorise désormais une figure-type de la classe moyenne, à laquelle personne ne colle exactement, l’individu étant en
permanence menacé de basculer dans l’exclusion, d’où son besoin de se raccrocher toujours plus à la figure centrale manquante de la classe moyenne, de plus en plus valorisée, donc toujours plus excluante, donc toujours plus valorisée, etc. Ce paradigme démocratique est aussi vide que la ligne véritable du parti de la période soviétique, qui prétendait éviter le déviationnisme droitier et le
déviationnisme gauchiste, si bien que, au final, personne n’en relevait.
Au-delà de la crise démocratique, c’est même une crise de l’Etat comme espace politique que traduit cette désolation de la Loi, affranchie des droits. Notre pays est moins traversé par une brumeuse « crise du vivre ensemble », que par son délitement en tant qu’espace politique, parce qu’il a renoncé à la
caractéristique première de la Cité : protéger la vie, c’est-à-dire protéger les droits à travers la loi.
L’exception souveraine
Qu’il soit bien clair que l’entrée judiciaire des droits de l’homme ne suffit pas à établir la protection sociale. Les juges ne construisent pas de logements, ne soignent pas les malades, n’emploient pas les chômeurs. Mais c’est le fondement des politiques publiques sur les droits de l’homme qui justifie la légitimité de l’autorité à édicter des lois, à exercer le monopole de la contrainte. Il serait ridicule d’opposer une approche juridique à une logique de services. Les droits ne remplaceront jamais le lourd vaisseau des services publics, mais ils doivent en être le gouvernail. La fin de la référence aux droits individuels débarrasse la collectivité de ses devoirs envers les individus, qu’elle tend à considérer comme des simples consommateurs de services(2)
L’Union Européenne est l’organe qui a le mieux parachevé ce glissement du citoyen sujet de droit, vers le consommateur, objet de services : la seule protection individuelle dont l’Union ait la compétence est celle des consommateurs, liés au service par le contrat.
Le service devient le lien entre l’individu et la collectivité, y compris les services liés à l’exercice de droits sociaux fondamentaux. Or nous avons vu à travers l’exemple des réfugiés que le service tend à s’écarter du droit, légalement garanti, en devenant contractuel, optionnel, soumis à l’arbitraire d’une décision. Quel sens a la liberté contractuelle pour le sans-abri, l’enfant illettré, l’agonisant ? Seuls les
titulaires de la réponse disposent de marges de manœuvre : l’association, l’école, l’hôpital. L’exercice du droit au logement est conditionné à la décision souveraine d’une commission d’attribution du logement social, qui n’est pas redevable de ce droit. De la même manière, l’accès au RMI, minimum de ressources nécessaire à la survie, dépend de l’estimation souveraine d’une assistante sociale, désormais
soumise à la pression d’un Conseil Général. Les récalcitrants sont soumis au caractère désormais impérial (3) de leurs référents sociaux.
En l’absence de référence aux droits individuels, l’autorité décisionnaire détermine elle-même ses critères, auxquels elle peut même se permettre d’adjoindre un certain flou pour marquer son caractère parfaitement souverain, comme l’a illustré la récente mesure de régularisation de familles d’enfants
scolarisés en France, laissant aux préfectures le soin d’interpréter les textes, tout en annonçant le nombre de familles régularisées avant de connaître le nombre de demandes respectant les critères d’éligibilité : les préfectures ont choisi, parmi les candidats légitimes, ceux qui seraient élus. Exercice type de la souveraineté. Chaque décision est exceptionnelle, sans référence à une norme, une légitimité
déterminée par la loi. . D’ailleurs, les notions légitimant les décisions du pouvoir sont de plus en plus floues : l’intérêt général, la mixité sociale, le principe de précaution etc. que le pouvoir se charge lui-même de définir (4). Certes, le pouvoir reste révocable, mais étant auto-référencée, son action est
impossible à évaluer.
Pour le philosophe Carl Schmitt, « est souverain celui qui prononce l’état d’exception ». Schmitt définit le nomos souverain, comme « la pure immédiateté d’une force juridique non médiatisé par la Loi ». Selon cette approche, le Préfet exerce un acte parfaitement souverain en prenant une décision qui constitue une force juridique immédiate, sans ancrer son choix dans un corpus de droits. Le hic, c’est que Carl Schmitt était le théoricien du droit de référence du IIIème Reich… Les décisions souveraines suivent le principe de droit national-socialiste : führerworte haben gesetzeskraft, les paroles du chef ont force de loi.
L’exception permanente est le mode de gestion de l’absence de droits : la première loi adoptée par le parti nazi après son accession au pouvoir en 1933 a été l’instauration d’une Schutzhaft permanente. En droit germanique, la Schutzhaft était l’état d’exception : une suspension provisoire des droits…
Bien sûr, nous ne vivons pas dans le même régime de violence. Les nazis massacraient des groupes sociaux ; nous nous contentons de classer les vulnérables, de les laisser dans la sphère d’influence d’un pouvoir politique redevenu souverain, à la merci d’une décision arbitraire.
Par ce glissement, nous assistons à ce que Georgio Agamben décrit comme une généralisation de la figure de l’homo sacer, une sanction du droit pénal antique de Rome. L’homo sacer peut être tué sans que son assassin soit poursuivi, mais il n’est pas sacrifiable rituellement. Légalement mort, mais biologiquement en sursis. Il est simplement placé sous la souveraineté permanente de tous les autres individus, leur possibilité de commettre un acte exceptionnel à son encontre. Un régime souverain se substitue à la Loi. Or, pour en revenir à Platon ou Aristote, « la Loi, c’est la vie », parce que la Loi fait la Cité (avant tout, une communauté de règles) et que la Cité confère à l’homme, animal social, son
humanité. Le régime d’exception dissout la Cité, donc prive les hommes de leur humanité et les renvoie à leur animalité.
Comme pour les homines sacri, le dérapage totalitaire de la protection sociale reflète une société dans laquelle nous sommes de plus en plus, tous, renvoyés à la décision souveraine de tous. En état de qui-vive face à l’exception qui nous guette, sans garantie face aux risques sociaux.
Ceux qui développent des garanties privées contre le risque, donc contre la souveraineté des affects extérieurs, par leur capital financier, social, culturel, parviennent à s’extraire de cette passivité inquiète. Les plus faibles, eux, vivent sous les « coups de la vie », qui leur rappellent en permanence leur fragilité.
Et quand ce ne sont pas les aléas de la vie, ce sont les dispositifs sociaux qui créent l’incertitude par la souveraineté, l’option de ne pas renouveler le contrat, ou d’en changer les termes.
La dilution de la décision : l’individu face à l’hégémonie
Depuis deux siècles et l’avènement progressif de la démocratie représentative, l’émancipation des
individus face au pouvoir est caractérisée par leur faculté de révoquer le souverain. Pour que le peuple
souverain existe –même aussi imparfaitement que dans nos démocraties parlementaires- il faut qu’il
soit en mesure de révoquer le dépositaire du pouvoir.
Or, tous les acteurs en lien avec le secteur institutionnel ont pu mesurer le développement d’une
république du guichet, au nom de la concertation, du partenariat, de l’intelligence collective locale,
faisant de l’institution publique une nébuleuse d’arbitraire individuels, eux-mêmes en tension face à
l’arbitraire souverain de leur hiérarchie, aux instructions paradoxales. Le nomos souverain se substitue
à la Loi, mais en plus il est diffus, métastasique. Le siège du pouvoir devient insaisissable, donc
incontestable, irrévocable.
Plus fondamentalement, la souveraineté de tous sur tous se traduit par un pouvoir latent, diffus, qui
passe par des codes culturels impossibles à contester, derrière lesquels s’abrite la nébuleuse
institutionnelle. C’est à travers ce phénomène d’hégémonie que Jean Baudrillard perçoit un nouveau
totalitarisme.
Le totalitarisme moderne est conforme à l’évolution de la société ; il ne s’appuie plus sur la figure du
chef, mais sur la soumission aux normes collectives. L’échec du socialisme, la mondialisation, la
réduction de la distance symbolique à l’autre ont entraîné l’incapacité à penser un au-delà possible. Il
n’y a plus d’ailleurs : ni utopie, ni civilisations lointaines. Cette incapacité à concevoir l’alternative
soumet l’individu à l’actualité du pouvoir qu’il rencontre. En bout de chaîne, les dispositifs de
protection sociale, pétris de caritatif et d’humanitaire, sont des relais involontaires de ce mécanisme.
Le « filet de protection » est lui même composé d’une myriade d’acteurs souverains, auxquels sont
obligés de recourir les ménages déjà éliminés par la confrontation à la souveraineté ordinaire des
systèmes économiques et culturels. Les services d’urgence n’offrent aucune prise de recours, ni sur
leurs refus d’admission, ni sur la qualité de services. Les services d’aide sociale apportent évidemment
une gamme de prestations essentielles à un grand nombre de personnes. Mais ils sont aussi des
véhicules de normes sociales et de pratiques souveraines, qui entretiennent les processus dont le refus
est pourtant à la source des systèmes sociaux. Quand les normes excluantes sont développées par les
acteurs réputés de la résistance, les vulnérables, les homines sacri, n’ont plus d’échappatoire possible.
Alors ?
Il n’y a pas de solutions individuelles, expérimentales, à ce dérapage souverain. Au contraire, toute la
partie du discours social, qui met l’accent sur la réparation de l’autre, par la relation d’individu a
individu, facilite ce dérapage vers la soumission à la décision exceptionnelle de l’autre, à sa morale
individuelle. Toute la mystique de l’individu faite de références pop-psychanalysantes
5
, d’influences
libertaires participatives, de floklore spirituel, tend à enfermer l’autre dans le champ de la relation,
c’est-à-dire dans un champ de vulnérabilités et de souverainetés.
Pour autant, il ne saurait être question d’un retour en arrière, à un Etat léviathan, hors des attentes
libérales-libertaires de la société.
Les seules perspectives sont celles d’une régénérescence actualisée de quelques principes
fondamentaux, qui doivent gouverner les politiques publiques, auquel les droits n’ont pas vocation à se
substituer, mais à servir de colonne vertébrale :
– la protection légale de tous les individus, adossée à un sanctuaire de droits qui fondent la
responsabilité du pouvoir politique. Dans le contexte d’affaiblissement des Etats, ce sont les structures
internationales, qui peuvent proclamer les droits, à condition qu’elles en aient les moyens financiers et
coercitifs.
5
pour reprendre l’expression de Stéphane Nadaud
– la référence aux droits, à chaque échelon de l’intervention publique, notamment au niveau des
collectivités locales qui tendent à devenir garantes des droits sociaux, alors que ce n’est pas
culturellement leur responsabilité.
– la clarification des fonctions de pouvoir, de sorte que toute décision soit entre des mains révocables
et au moins susceptibles de recours, afin de restituer aux citoyens une possible distance au pouvoir.
Cela implique de clarifier les chaînes de décision et de responsabiliser les opérateurs de services
d’intérêt général, au regard des droits.
– la reconnaissance des mécanismes de résistance en matière de droits sociaux et dans l’ensemble des
processus de domination. Le XIXème siècle a connu le droit du travail et la reconnaissance des
libertés syndicales. Le XXIème siècle connaîtra l’abolition de la pauvreté, s’il reconnaît les droits
économiques et sociaux comme droits de l’homme, à travers des formes organisées de résistance civile.
1 Concept emprunté à Hannah Arendt : Désolation désigne un processus de disparition du sol commun ; le mot à la même racine que
isolement.
2 L’Etat défini comme fournisseur de services est à la base de la théorie du New Public Management, paradigme de la gouvernance aux EtatsUnis et en Grande-Bretagne.
3 L’imperium romain est la confusion entre désobéissance et délit, réservée aux champs de bataille. Son introduction dans le droit civil
marque la mort de la République et l’avènement du principat.
4 Un rapport sénatorial de 2005, explique comment au XIXème siècle un théâtre pouvait être interdit au nom de l’intérêt général, puis
subventionné au XXème, au nom du même principe. Il en déduit qu’il est impossible de définir l’intérêt général. A quoi bon l’invoquer
comme source de légitimité, alors, si c’est la décision souveraine qui donne cette qualité ?